Les jeunes Africains aussi sont accros aux jeux vidéos
Les jeunes Africains aussi sont accros aux jeux vidéos, mais l'enjeu reste sous le radar

Les nouvelles technologies influencent les comportements individuels et collectifs liés au mode de vie moderne, en particulier chez les jeunes. La disponibilité des forfaits cellulaires avec données mobiles et la facilité d’accès à Internet en Afrique exposent ses jeunes populations aux problèmes de dépendance à la fois aux réseaux sociaux, mais aussi à l’usage excessif d’internet ou des jeux vidéos.
Pourtant la littérature scientifique fournit très peu d’informations sur l’usage des technologies par les jeunes africains qui, bien que moins nantis que les jeunes occidentaux, ne sont pas exempts des problèmes engendrés par tous ces écrans.
Parmi ces nouvelles technologies, citons les appareils sans fil comme les téléphones intelligents et les tablettes, qui sont associés à des comportements de dépendance selon plusieurs rapport d’experts.
En tant que jeune chercheur en médecine du sommeil et en épidémiologie sociale, je m’intéresse aux troubles du sommeil et à la santé mentale des populations atypiques telles que les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, les gens qui travaillent en service à la clientèle et les joueurs dépendants.
Étant donné que n’importe qui partout sur la planète peut être joint par Internet, j’ai mené une étude publiée dans Nature Scientific Reports sur les jeunes africains utilisant l’Internet pour jouer en ligne sur leurs téléphones intelligents et leurs tablettes.
Une dépendance démontrée
Les troubles reliés aux jeux vidéo sont généralement caractérisés par une utilisation incontrôlable et persistante des technologies numériques qui nuit au bien-être de l’individu et entraîne souvent des comportements de dépendance.
Preuve de leur importance croissante pour la santé publique, ces troubles sont désormais inclus dans la catégorie des comportements de dépendance de la 11e mise à jour de la classification internationale des maladies (CIM-11) de l’Organisation mondiale de la santé.

Plutôt que de s’engager dans le monde hors ligne, un utilisateur dépendant des nouvelles technologies consacre la majorité de son temps au jeu. Il s’isole souvent en ignorant des responsabilités plus importantes telles que faire ses devoirs ou remplir les tâches quotidiennes familiales. Ce type de comportement fait en sorte que la personne va souvent être plus préoccupée par l’obtention d « un bon classement ou de records dans son jeu préféré, que par sa relation avec les gens qui l’entourent.
Les écrans de ces appareils produisent une lumière forte par rétroéclairage dans l’obscurité. L’exposition à la lumière peut perturber le cycle de la mélatonine (hormone importante du sommeil) ou les heures auxquelles la personne va se coucher, affectant ainsi la qualité de vie puisque l’envie de jouer est présente en permanence au détriment de tout le reste.
La santé mentale peu étudiée
Cela va progressivement affecter la qualité et la durée du sommeil. Des rapports récents suggèrent des symptômes plus élevés de troubles de santé mentale chez les enfants et les adolescents exposés aux écrans tels que les ordinateurs, les tablettes et les téléphones intelligents, et les utilisant plusieurs heures par semaine à la maison.
Compte tenu de l’impact de la lumière, d’un environnement de plus en plus stressant et de la stimulation permanente du cerveau, on peut émettre l’hypothèse que le jeu excessif et non contrôlé contribue à l’augmentation des troubles du sommeil et des symptômes de santé mentale. Jusqu’à présent, cette hypothèse est très peu étudiée dans la littérature scientifique disponible pour tous les pays occidentaux, et elle est inexistante pour les pays africains.
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Actuellement, il n’existe pas de données sur les troubles liés au jeu ou leur association avec des troubles mentaux pour les pays africains, qui sont pourtant confrontés aux mêmes facteurs de risque que les pays occidentaux. En parallèle, il y a très peu d’informations sur la prévalence et l’incidence des troubles du sommeil dans ces mêmes pays. L’étude publiée dans Nature Scientific Reports apporte des éléments de réponse à cette problématique.
Les jeunes étudiants plus à risque
Un échantillon de 10566 personnes choisies dans la population générale ont participé à cette étude. Les répondants provenaient de deux pays à faible revenu (le Rwanda et le Gabon), six pays à revenu moyen inférieur (Cameroun, Nigeria, Maroc, Tunisie, Sénégal, Côte d’Ivoire) et un pays à revenu moyen supérieur (Afrique du Sud). Ils ont rempli des questionnaires en ligne contenant des mesures validées sur l’insomnie, la somnolence, l’anxiété, la dépression et la dépendance au jeu. La majorité des participants étaient âgés de 18 à 24 ans (7134 personnes sur 10566).
Les femmes représentaient 11 pour cent du total des participants à l’étude, révélant des disparités de genre dans les comportements problématiques liés au jeu. La quasi-totalité des participants (99 pour cent) était des étudiants de premier cycle universitaire. La majorité (66 pour cent) a déclaré un revenu dans la moyenne de leur pays et 29 pour cent ont déclaré un revenu élevé comparé à la plupart des gens de leurs pays, suggérant une association entre une certaine aisance financière et la tendance au jeu.
Plus de femmes ont déclaré un faible revenu (36 pour cent) par rapport aux hommes (1 pour cent), suggérant une inégalité de genre dans l’accès au jeu. En outre, plus de 94 pour cent des participants étaient célibataires. Enfin, 72 pour cent des participants ne travaillaient pas pendant leurs études, tandis que 24 pour cent ont déclaré travailler parallèlement à leurs études. Le reste étant des travailleurs.
Les observations montrent que les risques d’insomnie, de somnolence diurne excessive, d’anxiété et de dépression diminuent lorsqu’un joueur est en couple. Il est possible que la présence d’un partenaire réduise le temps passé à jouer et donc, permettrait d’éviter des problèmes de dépendance. La même observation vaut pour les travailleurs et les étudiants-travailleurs comparés à ceux qui ne font qu’étudier.
Le téléphone, outil de jeu privilégié
Près du tiers (30 pour cent) des personnes interrogées se disaient dépendantes au jeu. L’étude a aussi montré une association forte entre la dépendance au jeu et des symptômes telles l’insomnie, la somnolence diurne et l’anxiété.
Les résultats ont aussi montré que le téléphone intelligent est l’outil privilégié des joueurs, quels que soient leur type, leur pays d’origine et leur âge. Les ordinateurs et les consoles classiques viennent au deuxième et troisième rang. Cela peut s’expliquer par le prix des consoles, très cher par rapport aux salaires mensuels en Afrique.
Cette étude souligne la nécessité pour la communauté scientifique d’accorder plus d’attention aux troubles du sommeil et à la maladie mentale dans les pays africains à faibles et moyens revenus. Des recherches approfondies sur les troubles liés aux jeux en ligne seraient aussi nécessaires. Il serait intéressant de s’attarder aux facteurs de risque tels que le statut socio-économique de l’individu et le niveau de développement de son pays d’origine. Ces facteurs influencent le choix de l’appareil utilisé et peuvent favoriser le développement d’une dépendance ou d’une problématique d’utilisation des technologies.
De même, malgré le nombre d’utilisateurs à risque rapporté par cette étude, il convient de ne pas diaboliser l’utilisation des nouvelles technologies, qui contribuent à l’éducation des populations et au développement global des pays à faibles et moyens revenus.
Faustin Etindele, Sleep Medicine Fellow, Université du Québec à Montréal (UQAM)
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.