Éclater les scripts sexuels
« Si la société bruisse de conversations sur le sexe, pourtant on n’en dit rien de nouveau. Évoquer la sexualité en dehors des clichés est rare et compliqué. Ainsi la pénétration règne en maître. Elle est naturelle. Personne ne la voit comme socialement construite. Après tout, les animaux se pénètrent, les mâles pénètrent les femelles, les mâles pénètrent les mâles. C’est la marche du monde. » - Martin Page
L’auteur français Martin Page l’explique bien dans son ouvrage Au-delà de la pénétration (Monstrograph, 2019) : la sexualité pénétrative est au cœur de nos pratiques sexuelles. Mais, selon lui, il est impératif de casser cette injonction à la pénétration pour explorer d’autres façons d’obtenir du plaisir sexuel. C’est également l’avis de la sexologue Marion Bertrand-Huot qui explique bien que, chez le couple hétérosexuel (i.e un homme cisgenre et une femme cisgenre*), l’acte pénétratif (d’un pénis dans un vagin) n’est pas celui qui procure le plus de plaisir à la personne avec un sexe féminin. Au contraire, on parle même d’un fossé orgasmique entre le sexe féminin et masculin.
En effet, selon une étude de 2017 de Archives of Sexual Behavior, on constate que 95% des hommes hétérosexuels avaient un orgasme lors d’une relation sexuelle, comparativement à 65% des femmes hétérosexuelles. Alors que, du côté des femmes lesbiennes, 86% d’entre elles atteignaient l’orgasme. On note aussi que les femmes qui avaient des orgasmes plus fréquents étaient plus susceptibles, par exemple, de recevoir un cunnilingus (une caresse faite avec la langue et la bouche sur le sexe). Fait peu étonnant lorsque l’on sait que le sexe oral chez la personne de sexe féminin stimule beaucoup plus le clitoris que ne peut le faire la pénétration.
Le clitoris, ce grand oublié
C’est que le clitoris est souvent le grand perdant des relations pénétratives, car ce n’est pas la façon la plus efficace de le stimuler. En effet, même si ce dernier fait de 10 à 15 centimètres et que ses deux piliers se prolongent à l’intérieur du corps, la pénétration n’est pas nécessairement ce qui lui procurera une stimulation adéquate. Et ce serait bien bête de passer à côté, car il contient pas moins de 8000 (on parle parfois même de 10 000!) terminaisons nerveuses et, surtout, il s’agit du seul organe qui est entièrement dédié au plaisir. Ce n’est pas banal!
Sortir de la sexualité hétérocentrée et hétéronormative
Lorsque l’on se concentre seulement sur la pénétration, on oublie toutes les autres possibilités: caresses, masturbation, sexe oral, excitation par la proximité du corps de l’autre, baiser, chatouillements et la liste pourrait se poursuivre longtemps. De plus, en définissant une relation sexuelle «complète» sur la base d’une pénétration, on met de côté de nombreux éléments. D’abord, on oublie l’orgasme féminin : en effet, on considère souvent que la finalité d’une relation sexuelle est lorsque le partenaire masculin éjacule. Pourtant pas!
On crée aussi une hiérarchie dans les relations sexuelles : en mettant la pénétration en haut de la liste, toutes les autres pratiques sexuelles (sexe oral, masturbation, caresses, baiser, etc.) deviennent automatiquement moins importantes que celle qui est pénétrative. On met également de côté les sexualités non hétérosexuelles, puisqu’on normalise la relation sexuelle comme étant naturellement conforme à la formule « pénis dans vagin». Et si la pénétration est si extraordinaire, pourquoi parle-t-on si peu de pénétration anale chez les hommes hétérosexuels, par exemple, et qu’on l’associe seulement à l’homosexualité? Ça n’a pourtant rien à voir, ce n’est pas une question d’orientation sexuelle (on peut être homosexuel.le et ne pas aimer ça!) et cela peut amener beaucoup de plaisir à une personne de sexe masculin, puisque la prostate est une zone érogène très importante.
Gagner à explorer
Plusieurs diront peut-être : mais que reste-t-il en dehors de la fameuse pénétration dans le cadre d’un couple héténormatif? Eh bien, tout. Toutes les possibilités sont là. Bien sûr, s’éloigner de ce que l’on connaît et explorer de nouvelles avenues peut être déstabilisant et faire peur. Mais on peut pourtant en sortir gagnant.es. En effet, il a été démontré que les couples hétérosexuels qui ont une plus grande satisfaction sexuelle font généralement preuve d’androgynie psychologique (Rosenzweig, J.M & Dailey, D.M, 1986). C’est-à-dire une capacité à se mettre à la place de l’autre (entendre aussi de l’autre sexe). Par exemple, en étant plus fluide dans sa façon d’approcher la sexualité et en sortant des stéréotypes de genre et des rôles attendus selon le sexe. Nos scripts sexuels, c’est-à-dire les récits construits autour de notre sexualité par des apprentissages que l’on fait socialement, peuvent être changés. Il y a tout un monde à découvrir en dehors de la seule notion de pénétration et celui-ci ne demande qu’à être exploré.
*Cisgenre : dont le sexe correspond à l’identité de genre (ex. : naître avec un sexe féminin et se considérer comme femme)